mardi 4 mars 2014

Vivaldi et la Pietà

Une des raisons pour lesquelles j'ai souhaité revenir à Venise (outre la magie de la ville et de son carnaval) est l'écriture d'un nouveau roman qui se déroulera -en partie- à l'époque de Vivaldi et des filles de la Pietà...

Je ne peux vous en dire plus car il est loin d'être terminé mais j'avais besoin d'informations complémentaires.



A côté de l'église de la Pietà se trouve la toute petite Calle (rue) de la Pietà se trouve le Piccolo Museo Vivaldi. Le musée porte bien son qualificatif de "piccolo".


Quelques partitions, des instruments de musique de l'époque glorieuse de la Pietà, quelques images et des registres... et il ne se visite que sur rendez-vous.

Après avoir téléphoné pour le lendemain, je pénètre dans l'institut comme en pèlerinage. C'est la charmante Deborah Pase, responsable des archives qui me commente en long et en large avec beaucoup de gentillesse et de compétence le contenu de quelques vitrines.

Mais avant d'aller plus loin, un peu de biographie du "prêtre roux"

Antonio Lucio Vivaldi, né le 4 mars 1678 à Venise est mort le 28 juillet 1741 à Vienne.


Il a été l’un des virtuoses du violon les plus admirés de son temps« incomparable virtuose du violon » selon un témoignage contemporain ; il est également reconnu comme l’un des plus importants compositeurs de la période baroque, en tant qu'initiateur principal du concerto de soliste, genre dérivé du concerto grosso. Son influence, en Italie comme dans toute l’Europe, a été considérable, et peut se mesurer au fait que Bach a adapté et transcrit plus d’œuvres de Vivaldi que de n'importe quel autre musicien. Son activité s’est exercée dans les domaines de la musique instrumentale, particulièrement au violon, et de celui de la musique lyrique, et elle a donné lieu à la création d’un nombre considérable de concertos, sonates, opéras, pièces religieuses : il se targuait de pouvoir composer un concerto plus vite que le copiste ne pouvait le transcrire.



V comme Vivaldi. Et comme Venise. Liés pour la vie. Les années fastes du compositeur des Quatre Saisons, au début du XVIIIe siècle, furent en effet celles où la Sérénissime vivait ses plus grandes heures. Il y avait les fêtes, le carnaval, les jeux et les plaisirs. L'opéra, surtout, dont Venise était la capitale mondiale, et Vivaldi la vedette.

La vie de Vivaldi est mal documentée, car aucun biographe sérieux, avant le XXe siècle, ne s’est préoccupé de retracer sa vie.

Prêtre catholique, sa chevelure rousse le fit surnommer il Prete rosso, « Le Prêtre roux », sobriquet peut-être plus connu à Venise que son véritable nom, ainsi que le rapporte Goldoni dans ses Mémoires. il ne se consacra que très peu durant sa vie à l'état religieux.
Il se consacra alors exclusivement à la musique, car à l’automne 1706, il cessa définitivement de dire la messe.


« On rapporte sur Vivaldi cette anecdote singulière : Disant un jour sa messe quotidienne, il lui vint une idée musicale dont il fut charmé ; dans l’émotion qu’elle lui donnait, il quitta sur-le-champ l’autel et se rendit à la sacristie pour écrire son thème puis il revint achever sa messe. Déféré à l’inquisition, il fut heureusement considéré comme un homme dont la tête n’était pas saine, et l’arrêt prononcé contre lui se borna à lui interdire la célébration de la messe. »
Dans une lettre écrite en 1737, Vivaldi exposa une raison différente et plausible, à savoir que la difficulté respiratoire, cette oppression de poitrine, qu’il a toujours éprouvée l’aurait obligé à plusieurs reprises à quitter l’autel sans pouvoir terminer son office, et qu’il avait ainsi volontairement renoncé à cet acte essentiel de la vie d’un prêtre catholique.





À la même époque, le jeune homme avait été choisi comme maître de violon par les autorités du Pio Ospedale della Pietà
Fondée en 1346, cette institution religieuse était le plus prestigieux des quatre hospices financés par la Sérénissime République, et destinés à recueillir les jeunes enfants abandonnés, orphelins, naturels, ou de famille indigente.



On leur apprenait à lire et écrire, à coudre et broder, on leur enseignait la musique.



Calle della Pietà, au n° 3701, On peut visiter le Piccolo Museo della Pietà Antonio Vivaldi, qui présente des documents sur les enfants recueillis et quelques instruments de musique joués par les jeunes filles.



Ces quelques vieilles reliques sont tellement émouvantes.
Là sont consignés les noms des orphelines recueillies à l'Ospedale. Ce sont ceux des bébés confiés à la "roue d'abandon", la "scaffeta".
La roue d'abandon fonctionnait comme une petite porte à tambour et, équipée d'un berceau, permettait d'abandonner en tout anonymat une progéniture non désirée...


Une plaque de pierre est apposée sur le mur:





Que soient foudroyés par la malédiction ceux qui abandonnent leurs enfants légitimes ou naturels dans cet hospice de la Pietà si ils ont les moyens et la faculté de pouvoir les élever. Cet hospice est spécialement réservé à ceux qui ne peuvent absolument faire autrement.
Pape Paul III, 12 novembre 1548

Ces jeunes filles dont quelques-unes devenaient virtuoses, chanteuses ou instrumentistes, et qui ont fait la gloire de ces "coro" des orphelinats de Venise ne bénéficient souvent que d'une ligne dans le registre.


Date d'arrivée, prénom, emploi, date de mort. Pas de nom de famille puisque celui-ci était la plupart du temps inconnu.


Les bébés étaient parfois déposés avec un signe de reconnaissance qui, plus tard, peut-être, permettrait à la mère de retrouver son enfant : une médaille coupée en deux, un dessin déchiré, dont l'autre partie était conservée par la mère.





Une chemisette brodée et une lettre de la mère demandant qu'on prenne soin de son enfant.

La Pietà n'abritait que des filles. Cloîtrées presque comme des religieuses, certaines d'entre elles recevaient une éducation musicale poussée, ce qui en faisait des chanteuses et des musiciennes de valeur : quelques-unes pouvaient chanter les parties de ténor et de basse des chœurs et jouer de tous les instruments mais elles devaient jouer derrière des grilles de fer car personne ne devait les voir, c'était à l'époque interdit aux femmes de jouer et chanter;





Vivaldi composait pour elles et on peut voir leur prénom inscrit sur les partitions.





Une des plus célèbres, pour qui Vivaldi a composé de nombreuses pièces est Anna Maria dal Violin.


Au luxueux hôtel Metropole où se trouvait initialement l'Ospedale, il reste deux vestiges : un escalier que Vivaldi empruntait pour se rendre à la salle de musique et deux colonnes.






Une plaque commémorative au nom de Vivaldi laisse penser qu'ici jouaient les jeunes élèves du maître. Ce n'est pas tout à fait exact. Cette église, dite de la "Pietà", ne fut terminée qu'après la mort de Vivaldi, en 1741. Le compositeur aurait cependant prodigué quelques conseils pour en réussir l'acoustique. Leur virtuosité suscita l'admiration de tous les visiteurs de l'époque, notamment de Jean-Jacques Rousseau, qui nota dans ses Confessions: "L'église était toujours pleine d'amateurs, les acteurs mêmes de l'opéra venaient se former au vrai goût du chant. Ce qui me désolait était ces maudites grilles, qui ne laissaient passer que des sons, et me cachaient les anges de beauté dont ils étaient dignes."



Cette église est l'œuvre de l'architecte vénitien Giogio Massari
Son acoustique est parfaite
La tradition aime se souvenir des intuitions de génie et des heureux conseils
d'Antonio Vivaldi
Qu'elle lui soit reconnaissante.



Puisque Vivaldi avait été chargé d’enseigner la composition des concertos aux jeunes filles de la Pietà en 1705, il faut supposer qu’il avait déjà, à cette époque, une solide réputation de compositeur.
Dès sa disparition, le nom et la musique de Vivaldi tombèrent dans un oubli complet dans sa patrie. Ses œuvres étaient dispersées sous forme imprimée ou de copies manuscrites dans de très nombreuses collections et bibliothèques européennes (à Gênes, Dresde, Berlin, Manchester, Paris, Naples, Vienne, etc.) où elles devaient rester ensevelies et oubliées pendant près de deux siècles ou plus.


Cependant, la découverte fortuite des manuscrits de Turin (voir ci-dessous) pendant les années 1920-1930 vint opportunément sortir de l’oubli un lot énorme de partitions tant instrumentales que religieuses et lyriques.
Aujourd’hui, certaines de ses œuvres instrumentales et notamment les quatre concertos connus sous le titre « Les Quatre Saisons » comptent parmi les plus populaires du répertoire classique.


 
Encore mille fois merci à Deborah Pase pour son amabilité, sa gentille et ses précieuses informations.

4 commentaires:

  1. Superbe billet, intéressant !!! Je n'ai pas fini de le lire mais je reviendrai... Merci à toi !
    Justement nous chanterons pour le 70 e anniversaire du débarquement le Gloria de Vivaldi à la cathédrale de Bayeux !

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    1. Oh! Le Gloria, je l'ai chanté avec ma chorale Anima... C'est superbe!

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  2. Et donc la fin de mon dernier commentaire était prémonitoire quant à la ville choisie, mais rien à voir probablement avec le carnaval qui s'y déroule ...

    Ah ! les Quatre Saisons et leur interprétation par Piero Toso, soliste des I Solisti Veneti ...


    Sur le sujet des enfants abandonnés à une institution religieuse - une preuve architecturale de cette pratique est visible dans un des murs de l'abbaye du Thoronnet, dans le Var -, une de tes collègues "es lettres", Andre H. Japp a publié fin février un roman, un thriller qui se déroule au Moyen Âge, intitulé "Le Tour d'abandon".
    D'après la publicité que j'ai reçue, il s'agit du troisième tome des enquêtes de son héros, le bourreau M. de Mortagne ...

    Mais peut-être es-tu déjà au courant ?

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    1. Non, je ne connais pas...
      Il y a encore une roue d'abandon, réactivée depuis quelques années à Brugge et qui a connu deux cas de bébés placés dans la boîte.

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